Au Cameroun, un enseignant peut être déchu de ses fonctions et passer 6 jours à 10 ans de prison s’il est reconnu coupable de sévices graves sur un élève.
Par Nadine Ndjomo
Israël T. 50 ans, se souvient encore des coups de fouets que lui avait asséné sa maitresse du cours moyen un, il y a près de 40 ans. « J’avais oublié de faire mes devoirs. Quand la maitresse a voulu m’interroger, j’étais discret. Je bavardais avec un camarade qui était assis derrière moi. Ça l’a mis hors d’elle. Elle s’est approchée, m’a tiré par les oreilles jusqu’au tableau, m’a mis à plat ventre, et m’a donné 20 coups de fouets. Elle utilisait trois longues lianes tressées, comme fouet », raconte le quinquagénaire.
Aujourd’hui, il est pratiquement impossible de voir pareille scénario. Pas parce que les enseignants ont perdu l’envie d’utiliser le fouet, mais parce que la loi l’interdit. Elle date de plus de 20 ans. On l’a trouve dans la loi portant orientation de l’éducation du 4 avril 1998. 24 ans plus tard, le fouet a toujours la cote dans le cœur des enseignants, mais ces derniers optent désormais pour des punitions simples. «Recopier une centaine parfois mille fois, le même mot, faire des génuflexions, planter les choux (soulever un pied en l’air, tête baissée et mettre l’index sur le sol), faire le ménage dans la salle de classe, se mettre debout dans un coin de la salle de la classe pendant une heure, faire sortir l’élève pendant le cours, s’il trouble la classe », énumère un enseignant du lycée de Nyabizan, dans la région du Sud. Aux orties donc, les sévices corporels, pour « corriger un élève qui glousse, répond avec un ton goguenard à l’enseignant, tarde à obtempérer lorsqu’il est interpellé par son enseignant ». Exit cette pratique qui ramenait à l’ordre les élèves, juste à sa pensée.
Dans les écoles au Cameroun, faire régner l’ordre dans une salle de classe est une gageure pour certains enseignants. « Nous, enseignants, sommes exposés à tous les maux. Nous avons peur de nos élèves. L’enseignant n’est plus respecté comme c’était le cas jadis. Les élèves sont régulièrement drogués. Ils se baladent avec des armes blanches et ils peuvent faire du mal à n’importe quel moment. C’est difficile. Et l’enseignant n’est pas protégé. Ni par la loi, ni par la hiérarchie, encore moins par la société, les parents davantage, qui portent plainte, dès que l’enfant se plaint ; à tort ou à raison », confie Faustin Abossolo, enseignant.
D’après la circulaire N°42/A/371/MINEDUC/DESG/SAP du 23 juillet 1985, ayant pour objet ; organisation de la discipline dans les établissements d’enseignement secondaire, c’est au surveillant général qu’incombe la responsabilité de punir un élève. Il juge de l’opportunité de la punition dite consigne ou privation de sortie. Quant aux professeurs, en cas d’indiscipline d’un élève dans la salle de classe, ils doivent « traiter chacun selon son mérite et ses actes. Il fuira tous les excès. Il suivra régulièrement tous les problèmes de disciplines en faisant appliquer le règlement intérieur », peut-on lire dans la circulaire de René Ze Nguéle.
Pour résoudre le problème des punitions dans les écoles, plusieurs paramètres doivent être pris en compte. Dans une interview paru à Mutations il y a quelques années, le Pr Paul Abouna, anthropologue et enseignant à l’université de Yaoundé le fouet à «toute sa place dans l’éducation d’un enfant» mais il doit être : « inscrit dans sa finalité. Si la finalité est bonne alors le moyen est bon. Car le fouet permet à l’enfant de ne plus commettre les mêmes fautes et d’apprendre à respecter les normes de la société dans laquelle il vit. »
Mais faut-il administrer des punitions à tous les élèves d’une même classe pour la faute commise par un élève comme c’est souvent le cas ? Oui répond sans ambages le Dr Magloire Nissimaissou, sociologue : « entre autres objectifs de l’école, c’est de former une catégorie de citoyens, d’acteurs sociaux, d’hommes et de femmes qui revêtent significativement les mêmes valeurs sociales. L’Etat aspire donc à une République d’un modèle admirable aux yeux du monde. Mais comment façonner les gens différemment avec leurs inégalités pour qu’elles valeurs sociales ? Autrement, il est question de dégager la tenue de classe pour laisser la présupposée élite s’affirmer avec tous les écarts sociaux qui en découlent. Comment fouetté ou mettre à genoux le fils du pauvre et laisser impuni celui du riche ou d’un homme haut situé socialement. En clair, c’est malheureusement ce que reproduisent par d’autres canons, nos sociétés camerounaises. »
Et la loi conforte la société dans cette position. « Un parent peut porter plainte contre une enseignant si ce dernier frappe sur son enfant. La violence en milieu scolaire est interdite sous toutes ses formes », déclare d’emblée Aboubakari Ousmana, juriste avant d’énumérer les peines principales en cas de violence d’un élève par un enseignant: « un enseignant qui violente un élève peut être poursuivi pour violences et voies de fait volontaires prévues et réprimées par les dispositions des articles 279 et suivant du code pénal. (voir article 279(1), 280 et 281). Les peines d’emprisonnement peuvent aller de 6 jours à 10 ans selon les cas et l’amende de 5.000 à 500.000. »
Quid de l’aggravation des peines ? « Le même code (article 350(1) prévoit un cas d’aggravation des peines lorsque les violences ont été perpétrées à l’encontre des enfants mineurs de 15 ans. Dans ce cas les peines prévues aux articles précités (articles 279(1), 280, 281) sont doublées », énumère le juriste.
Et si l’enseignant est reconnu coupable des faits qui lui sont reprochés : « il peut être déchu de ses fonctions (voir articles 350 alinéa 2 et article 30 du code pénal). Cette déchéance consiste « dans la destitution et l’exclusion de toutes fonctions, emplois ou offices publics » de l’enseignant et ou « dans l’interdiction de tenir une école ou même d’enseigner dans un établissement d’instruction et, d’une façon générale, d’occuper des fonctions se rapportant à l’éducation ou à la garde des enfants. Il faut ajouter que cette action publique (pénale) n’exclut pas une action civile pour les parents pour pouvoir réclamer des dommages et intérêts pour l’enfant devant une juridiction civile », conclut Aboubakari Ousmana.