Dans son 4ème livre, l’enseignante , dénonce la gabegie, le terrorisme, le trafic d’influence et présente les conséquences de ces maux au Cameroun.
Par Nadine Ndjomo
Quatre séquences. Trois dates. Trois endroits. Un personnage unique. Ndikne se déploie. D’abord sur un air de « dilna ». Il est affligé. En pleurs, il fait face au monde, à la réalité qui étouffe le peuple, aux mensonges qui se déploient en pétales, à la corruption qui règne en maîtresse absolue, sans honte bue.
La réalité est moche. Et malheur à celui, dont l’outrecuidance va pousser à chercher justice. Il s’y perdra dans les dédales de cette couleuvre. Elle sectionne jusqu’au moignon. Et comme une hydre, les éternelles victimes, croissent malgré la peur. Ndikne en fait partie.
Il porte la croix de Saint André. Dans sa cellule en prison, le temps est sombre. Assis sur mon mandat, il a la vague à l’âme. Le visage de Maibonne, le fait sourire. Sa chaleur lui manque. Voilà trois ans. Ses plats aussi. Surtout cette bouillie de mil rouge, brassée à la pâte d’arachide et au jus de tamarin, dont elle seule a le secret et qu’il affectionne tant…Ndikne pleure.
Il rassemble les pièces du puzzle de ce jour fatidique. Tout est parti d’un contrôle d’identité. En fouillant son portefeuille pour récupérer sa CNI, une lame tombe. Et pan…le gardien de la paix Ndjiddere Bienvenu, « m’a collé l’étiquette de terroriste ».
Devenu antonyme de ce qu’il est, Ndikne s’est retrouvé au commissariat parce qu’il n’a pas graissé la patte au chef, parce qu’il a pris effet et cause pour sa cousine, avec qui, il effectuait le voyage et dont le récépissé avait été prolongé à perpétuité. Quel crime ! Il n’aurait pas dû.
Mais l’apprenti mécanicien, fils de Poore Mendandi et de Pauline Wiwa l’a fait. Lui, un « Toupouy ». Un de ce qu’on juge au faciès, parce qu’étant originaire de là-bas. Du sahel. Né coupable, Ndikné a le profil de l’emploi : terroriste. Et sa place se trouve dans les geôles. Ndikne y est donc.
Las, ceint de nostalgie, le jeune homme s’interroge : « Quel délit ai-je commis pour mériter pareil traitement ? Quel mal y a-t-il à porter sur soi une lame de rasoir quand on voyage?» victime coupable, souffre-douleur des hommes et femmes forts de ce pays, Ndikne soliloque. Le décret a donné mandat de titre de propriété à son bourreau, sur son être. Ndikne le vit.
Trois ans dans l’attente d’un procès qui ne vient pas. Trois ans d’oubli, d’impuissance, de peur, d’injustice. Trois ans dans ce gîte aux portes bariolées, à goûter à la bouffe d’une intendance de l’Etat. « On a beau être innocent, on n’est plus le même» à la sortie.
Et c’est le « Revers » de Nadale Fadine. En 84 pages, l’autrice de « Bouillon de thèses» 2018, « Pensées éclairs » 2018, « l’odeur du temps » en 2022, scalpe la société camerounaise. Elle cisaille les mots et les maux qui l’affectent et l’ensevelissent. Paru aux éditions Lupeppo le 18 janvier 2023, cette pièce de théâtre a un zeste d’Anne Cillon Perri.
L’autrice balade le lecteur entre les venelles des zones rurales du sahel et le sol froid des prisons. Si bien qu’en lisant ce livre, on a l’impression d’y être. Écrit dans un langage soutenu, et donc pas accessible à tous… « Revers » est une œuvre qui pourrait servir dans le système éducatif camerounais, comme « Trois prétendants… un mari », de Guillaume Oyono Mbia.