Inspecteur Général des Affaires Académiques au ministère de l’Enseignement Supérieur, coordonnateur de l’UIECC.
Interview réalisée par Yvonne Salamatou (ODS)
Quand et comment est née l’université Inter-Etats Congo-Cameroun ?
L’Université Inter-États Congo-Cameroun est né de la volonté des deux Chefs d’État du Cameroun et du Congo de renforcer l’intégration sous-régionale, en commençant par leurs deux pays respectifs. C’est ainsi qu’ils ont défini et mettent en œuvre un important portefeuille de projets intégrateurs comprenant entre autres, la construction de la route transfrontalière Sangmélima – Ouesso, le projet minier transfrontalier de Mbalam-Nabeba, le projet de construction du barrage hydroélectrique de Chollet situé à cheval entre le Congo et le Cameroun et la création de l’Université Inter-États Congo-Cameroun. La Convention portant création de l’Université Inter-États a été signée le 12 décembre 2012 par le ministre des Relations Extérieures de la République du Cameroun et le ministre des Affaires Étrangères et de la Coopération de la République du Congo, représentant respectivement la République du Cameroun et la République du Congo. Il s’agit de développer la coopération entre les deux pays en matière d’enseignement supérieur et de créer un pôle d’excellence technologique dans la sous-région et de renforcer l’intégration entre les deux peuples. L’Université Inter-États reçoit à cet effet pour principale mission la promotion du progrès du savoir et du développement dans les domaines prioritaires de l’agriculture, la forêt, la protection de l’environnement et les technologies de l’information et de la communication. L’Université Inter-États est une institution d’enseignement supérieur doté de la personnalité juridique et jouissant de l’autonomie financière. Son siège est au plan juridique installé conjointement à Ouesso (Congo) et Sangmélima (Cameroun). Mais, pour des raisons pratiques, les services de la Présidence de l’Université Inter-États seront installés à Ouesso. L’Université Inter-États assurera la formation et la recherche dans quatre domaines prioritaires, à savoir l’Agriculture et l’Alimentation de seconde génération et les Technologies de l’Information et de la Communication à Sangmélima, l’Agroforesterie et l’Environnement et les Sciences Appliquées à Ouesso.
Comment se passe la coopération entre les deux pays voisins, Cameroun et Congo, dans le cadre du fonctionnement de cette institution universitaire ?
La résolution des questions juridiques et diplomatiques (régime financier de l’Université, statut du personnel de l’université, régime de privilèges et immunités diplomatiques de l’Université) est une tâche assez ardue à cause du statut d’Université binationale, qui fait que l’Université Inter-États Congo-Cameroun n’est ni une Université d’État du Cameroun, ni une Université d’État du Congo, mais un organisme public international. Les deux pays travaillent d’arrache-pied pour trouver des solutions qui une fois élaborées permettront la mise en place des organes statutaires et la nomination des premiers responsables de l’Université. En attendant la résolution de ces questions juridiques épineuses, l’opérationnalisation de l’université Inter-États se fait de manière progressive, mais sûre depuis 2015 par la mise en place du Comité de Pilotage du Projet d’implantation de l’Université Inter-États Congo-Cameroun, qui est coprésidé par le Ministre de l’Enseignement Supérieur du Cameroun et le Ministre de l’Enseignement Supérieur du Congo. Ce Comité est chargé de l’élaboration des textes organiques de l’Université, de l’identification et de la sécurisation des terrains cessibles à l’Université Inter-États à Ouesso au Congo et à Sangmélima au Cameroun, de la mise en place graduelle des programmes de formation placés sous la tutelle académique de l’université de Douala et de l’Université Marien Ngouabi de Brazzaville, en attendant la mise en place des organes statutaires de l’Université Inter-États et de la dotation de l’Université Inter-États d’infrastructures et d’équipements nécessaires au fonctionnement des formations déjà mises en place. C’est dans cette logique que d’accord Parties, en tenant compte du contexte économique de la sous-région, les deux pays ont convenu de démarrer les activités académiques de l’Université Inter-États par la mise en place à Sangmélima d’un programme de formation dans les Technologies de l’Information et de la Communication au sein de l’École Supérieure Internationale de Génie Numérique (ESIGN) de l’Université Inter-États à Sangmélima.
Quelles sont de manière précise les formations offertes par l’UIECC ?
L’ESIGN de Sangmélima, qui est actuellement le premier Établissement opérationnel de l’UIECC, compte actuellement 400 élèves ingénieurs camerounais et congolais qui ont entamé leur cursus de formation d’ingénieur Bac+5 en mars 2020, a pour mission d’élargir le bassin de talents numériques, en se basant sur le fait que la créativité est l’une des principales habiletés pour développer les solutions numériques, dont on sait qu’elles nécessitent des compétences tant sur le plan technique et que sur le plan créatif. L’ESIGN est donc un établissement universitaire de formation en TIC, innovant non seulement en Afrique mais aussi dans le monde, en ce sens qu’il agrège dans un nouveau domaine transdisciplinaire de savoirs et savoir-faire (le Génie Numérique), la Création et le Design Numérique (jeux vidéo, réalité virtuelle et augmentée, graphisme, multimédia, audio-visuel), les Sciences et Technologies Numériques (mathématiques, physique, linguistique, génie informatique, électronique, télécommunications, robotique), les Technologies et les Sciences sociales appliquées au numérique (communication, droit, économie, gestion, anthropologie, sociologie). L’ESIGN recrute, à travers un concours unique lancé conjointement par le Ministre de l’Enseignement Supérieur du Cameroun et le Ministre de l’Enseignement Supérieur du Congo, des titulaires du Baccalauréat ou du GCE AL dans toutes les séries (littéraires, scientifiques, techniques), pour y poursuivre une formation d’Ingénieur de Conception de Génie Numérique, dans trois parcours de formation : Création & Design Numérique, Ingénierie Numérique Sociotechnique et Ingénierie des Systèmes Numériques.
Quels sont les cycles de formation ? Et comment se déroule-t-elle concrètement ?
Pour le moment l’ESIGN propose un cycle de formation unique de 5 ans de formation des Ingénieurs de Conception. Il est organisé en 2 ans de tronc commun d’études préparatoires et 3 ans de spécialisation dans les 3 parcours de formation. Je précise toutefois que ces trois parcours de formation ne sont pas des tunnels de formation étanches. En effet, en fonction de l’intérêt et des aptitudes, les étudiants peuvent passer d’un parcours de formation à un autre. Les étudiants qui le désirent peuvent recevoir tout au long du cursus, un Diplôme Universitaire de Technologie en Génie Numérique (après 2 ans) et une Licence en Génie Numérique (après 3 ans). Ces diplômes intermédiaires offrent des passerelles vers le marché de l’emploi tout au long du cursus de formation. L’approche pédagogique est l’approche par problèmes et par projet (APP) qui se base sur des situations d’apprentissage variées, contextualisées et présentant un défi, fait appel à la coopération entre apprenants et offre une certaine autonomie aux étudiants et met l’accent sur les activités initiées par l’étudiant plutôt que par l’enseignant.
Quelles sont les débouchées de ces formations offertes à l’UIECC ?
À travers son approche transdisciplinaire et professionnalisée de la formation, l’ESIGN ambitionne de former une masse critique d’experts ayant la motivation et les capacités à créer et développer des entreprises et des services numériques innovants et économiquement viables. Autrement dit, pour ceux qui ne l’appréhendent pas encore suffisamment, nous formons à l’ESIGN, non pas des ingénieurs au sens classique du terme, ce qui est d’ailleurs bien fait par les autres Grandes Écoles, mais les leaders, les entrepreneurs, les managers et les capitaines de la future industrie numérique de nos pays. Nous ne parlons donc pas ici, ni d’accès aux matricules de l’État, ni de recrutement dans des entreprises, mais de création et de développement des entreprises et des services numériques. Évidemment, comme vous l’imaginez bien, cela n’exclut pas qu’un diplômé de l’ESIGN pour des raisons qui lui sont propres choisissent une telle trajectoire professionnelle. Au plan technique, les débouchés et les métiers qui s’offrent aux diplômés de l’ESIGN sont les nouveaux métiers de l’économie numérique : Architecte des systèmes numériques, Administrateur des ressources numériques, Expert-cogniticien, Manager de l’information et de la connaissance, Chef de projet numérique.
Comment expliquez-vous cette relative discrétion de l’UIECC, peu connue du grand public, alors qu’elle offre des formations des plus pointues et des plus porteuses ?
Personnellement, je n’ai pas cette perception. L’ESIGN de Sangmélima a ouvert ses portes en Avril 2020 et sa notoriété va delà largement au-delà de ce qu’on pouvait attendre d’un nouvel Établissement de formation après un an d’existence seulement. Depuis la proclamation des résultats du Baccalauréat et du GCE AL, nous sommes assaillis par des demandes de renseignements sur l’École aussi bien au Cameroun, qu’au Congo et dans d’autres pays de l’Afrique Centrale qui manifestent un très grand intérêt à envoyer des étudiants dans cette École innovante.
Combien coûte la formation à l’UIECC ?
Je vous ai dit plus haut que les organes statutaires de l’Université Inter-États Congo-Cameroun ne sont pas encore en place. Par conséquent, les frais de formation exigibles aux étudiants n’ont pas encore été formellement fixés par les deux pays. Dans le cadre de la première promotion déjà recrutée, sur un coût annuel de formation par étudiant qui est de 3 millions F CFA, les étudiants camerounais ne s’acquittent que de 50.000 F CFA, le reste des coûts étant pris en charge par l’État du Cameroun.
Qui supporte le financement de cette formation, et de manière globale le fonctionnement de l’UIECC ?
L’Université Inter-États Congo-Cameroun qui est installée conjointement à Ouesso au Congo et à Sangmélima au Cameroun est une Université internationale qui est la propriété conjointe du Cameroun et du Congo. Ce sont donc ces deux pays qui financement la construction et l’opérationnalisation progressive de l’Université Inter-États à Ouesso et à Sangmélima.
Quelles sont les perspectives de développement de l’UIECC dans les années à venir ?
L’Université Inter-États Congo-Cameroun est implantée de manière graduelle et sûre. Après l’École Supérieure Internationale de Génie Numérique de Sangmélima, il est déjà sérieusement envisagé la mise en place de l’École Supérieure Internationale des Technologies et Industries du Bois (ESITIB) de Ouesso au Congo. A Sangmélima, les terrains sont déjà disponibles pour accueillir le futur Établissement de l’Université Inter-États qui sera consacré à l’Agriculture et à l’Alimentation du futur. Mais, dans le court terme, la priorité est à la mise en place des organes statutaires de l’Université.
Pour finir, en quoi consistent effectivement vos fonctions au sein de l’UIECC ?
Comme je vous l’ai dit, pour faire face à la complexité des questions relatives à l’opérationnalisation de l’Université Inter-États Congo-Cameroun, les deux pays ont mis en place un Comité de Pilotage conjoint de ce projet Université qui est coprésidé par les deux Ministres de l’Enseignement Supérieur. Ce Comité de pilotage comprend une Unité technique de gestion du projet ayant un Coordonnateur du site de Sangmélima et un Coordonnateur du site de Ouesso. Je suis le Coordonnateur du site de Sangmélima. À ce titre, je suis chargé de mettre en œuvre les orientations définies par le Comité de pilotage relativement au site de Sangmélima. Je subodore aussi que le choix porté sur ma personne pourrait aussi être en lien avec ma qualité de professeur Titulaire d’Informatique, dès lors que l’option des deux pays a été de démarrer les activités académiques de l’Université Inter-États par le domaine des TIC. Vous pouvez donc imaginer qu’au plan strictement académique, l’ESIGN soit un peu notre bébé.