enseignant-secrétaire Permanent du Conseil national d’agrément des manuels scolaires et de matériels didactiques (CNAMSMD).
Dans une tribune annoncée en grande « Une », le quotidien Le Jour (n° 3637 du 28 mars 2022) a publié un long texte du Pr Ambroise Kom intitulé : Cameroun : la mort programmée de l’école. Ce texte mérite la plus grande attention du double fait de l’importance que lui accorde le journal de Haman Mana et surtout en raison de la qualité de celui qui le signe. Professeur titulaire des universités, pédagogue respecté à l’expérience transversale puisqu’il a enseigné en Afrique subsaharienne, en Afrique du Nord, en Europe et en Amérique du Nord, Ambroise Kom a, à la fois, la légitimité et l’autorité pour parler de l’école. La présente réaction à sa publication vise à démontrer que son texte est un brûlot, type par excellence du texte polémique, et qu’il ne devrait pas être lu au premier degré mais être perçu comme un aiguillon dont la fonction est de stimuler et pousser à l’excellence un individu ou un système qui en ont intrinsèquement les capacités. Sinon, il y aurait lieu de craindre que ce texte, par de nombreuses affirmations pèche par l’excès et par les postures par trop hiératiques de son auteur sur notre système éducatif et sur sa politique du livre et du manuel scolaire relève de la caricature.
L’arbre et ses fruits
En jugeant dans l’absolu notre école et notre système éducatif, sans questionner ce que deviennent les produits qui en sortent, sans éléments de comparaison, le Professeur Kom pèche par excès de rigueur, par enferment sur soi. En effet, sans aune, il n’y a pas de mesure objective ! Ce que deviennent les produits de notre système éducatif lorsqu’ils se frottent à ceux d’autres institutions similaires pourrait servir d’indicateur de qualité. Il est avéré que les Bacheliers camerounais qui émigrent vers d’autres pays de notre continent ou qui se retrouvent partout ailleurs : Europe, Asie et Amérique font généralement la course en tête dans les meilleures universités. A titre d’illustration, il conviendrait de se renseigner sur ce que sont devenus les étudiants contestataires de l’université de Yaoundé d’alors dont parle le Professeur Ambroise Kom : enseignants-chercheurs de haut vol dans les meilleures universités d’Europe et d’Amérique, médecins, Epidémiologistes, Informaticiens, Electroniciens, Officiers supérieurs, Comptables…. Aucun des métiers les plus pointus dans lesquels ils excellent n’a de secrets pour eux. A moins d’affirmer qu’ils sont une génération spontanée et qu’ils ne doivent rien de ce qu’ils sont devenus à notre système éducatif, il y a lieu de reconnaître à notre école quelque mérite. Au demeurant, ces quelques exemples de personnes connues sont la face visible d’un immense iceberg constitué de brillants sujets disséminés à travers le monde. Notre pays, et c’est connu et attesté, a une intelligentsia dont le rayonnement est admiré de tous et envié de plusieurs.
Une constellation vert-rouge-jaune
Qualifier « d’universités sous l’arbre » des universités dont nombre de produits des facultés et des grandes écoles sont assis sur le toit de la science, des arts et des lettres à l’échelle planétaire est assurément excessif et caricatural. Un tel propos, pris au premier degré, se délégitime par lui-même et perd toute pertinence. Ambroise Kom ne le sait que trop bien, lui dont de nombreux anciens étudiants à l’université de Yaoundé sont des enseignants-chercheurs parmi les plus respectés en Amérique du Nord. Personne ne pourrait donc raisonnablement nier à notre école le mérite d’avoir posé les jalons et même dûment moulé d’illustres personnalités intellectuelles : Léonora Miano, Hemley Boum, Imbolo Mbue en littérature ; Tema Biwole, Reine Dominique Ntone Sike, Arthur Zang, Sirry Alang… dans les domaines de la science et de la technologie…. Ernest Simo de la NASA a bien obtenu son baccalauréat C au Lycée Général Leclerc et passé son CEPE à l’école publique d’Ekoudou à Yaoundé ; Abdon Atangana, l’éminent inventeur d’une dérivée mathématique qui porte son nom est un ancien élève du Lycée d’Obala qui a obtenu sa licence en mathématiques en Faculté de Sciences de l’Université de Yaoundé. Que notre école soit capable de mieux est une tout autre affaire ! que nos universités aient besoin de bibliothèques numériques et physiques dûment fournies en ouvrages de toutes sortes, de laboratoires équipées et de bien d’autres infrastructures tombe sous le sens le plus ordinaire mais n’en fait nullement des « universités sous l’arbre » !
Le risque du masochisme et du parjure
La nostalgie des « périodes coloniale et immédiatement postcoloniale » que le Professeur Kom évoque en recourant à la figure de style de l’antiphrase est un autre indicateur que son texte ne devrait pas être lu au premier degré. Sinon Ambroise Kom se rendrait coupable de masochisme et de parjure. Le masochisme procède du plaisir que l’on prend dans la souffrance. Quelles que soient les précautions de langage qu’on utiliserait, affirmer ou même simplement insinuer une comparaison possible de notre système éducatif actuel avec ce qui se faisait à la période coloniale et celle immédiatement après est pur masochisme, car évoquer l’époque coloniale pour parler de notre système éducatif, c’est faire référence à une période où on « s’efforçait d’inculquer au Colonisé, dès son jeune âge, la conscience profonde de son infériorité congénitale et de la barbarie de ses ancêtres » (Claude Marchand, « L’Enseignement au Cameroun sous mandat français », Annales FLSH, N° 4, Université Fédérale du Cameroun, p.48).
L’évocation de la période immédiate d’après la colonisation n’est pas plus opportune car c’est celle des manuels des collections des Ecoles des Frères missionnaires Macaire et Grill et celle des Mamadou et Bineta. Du point de vue pédagogique, lesdits manuels avaient sûrement des qualités, mais lus selon une grille idéologique et critique, comme le fait Albert Azeyeh (in Réussite Scolaire et faillite intellectuelle : généalogie mentale de la crise de l’Afrique noire francophone), ces manuels foisonnent de clichés qui distillent et inoculent dans le subconscient des enfants africains un venin mortel contre leur dignité ; ils les installent dans la contemplation médusée d’un monde suréminent, celui du Colonisateur. Albert Azeyeh démontre que ce système éducatif enseigne au jeune africain la « répulsion de soi et l’attraction de l’autre » et conclut que la réussite scolaire des jeunes africains issus du moule éducatif colonial s’accompagne inévitablement de faillite sociale parce qu’ils sont « désaccordés aux codes de leur univers ». Ambroise Kom lui-même n’est pas moins critique vis-à-vis de ce système lorsqu’il affirme : « A la suite de Faidherbe, gouverneur du Sénégal de 1854 à 1865, on se contenta de créer dès le début du XXème siècle quelques écoles [où] la qualité de l’enseignement visait essentiellement à inculquer aux jeunes Africains le mépris de leur culture, de leurs héros et la soumission à l’égard des colonisateurs » (A. Kom, La malédiction francophone, Proximité, 2017, p.153).
Politique nationale du livre et du manuel scolaire
Après le système éducatif, le Professeur Ambroise Kom formule un ensemble de critiques concernant la politique nationale du livre et du manuel scolaire sur lesquelles il convient de revenir point par point. Il est curieusement reproché aux ministères en charge de l’éducation (MINEDUB et MINESEC) de ne pas se limiter à l’élaboration des programmes scolaires et de prendre à leur compte, l’homologation des manuels scolaires évalués par le Conseil National d’Agrément des Manuels Scolaires et des Matériels Didactiques (CNAMSMD). Il convient au préalable de rappeler le lien qui existe entre les programmes scolaires et les manuels. Un programme scolaire pourrait être comparé à une recette culinaire dont le manuel serait le plat dûment préparé, un plan architectural dont la maison bâtie est la matérialisation. Ne pas établir de correspondance entre curricula et production des manuels scolaires reviendrait à imaginer qu’on peut, par le fait du hasard ou de la chance, trouver sur le marché de l’immobilier une maison construite conformément à un plan architectural qui n’a jamais été dévoilé. Le manuel scolaire est donc un ouvrage de commande, assorti d’un cahier de charge précis et détaillé.
Aux élèves la ressource, aux enseignants la source !
Il convient par ailleurs de rappeler que les manuels dont les ministres en charge de l’éducation signent les listes officielles sont destinés aux élèves et non aux enseignants qui eux, disposent de tous les ouvrages existants de leurs spécialités pour préparer et dispenser leurs enseignements. Ne pas disposer de listes officielles de manuels, c’est-à-dire, ne pas recommander des manuels pour l’école, c’est espérer que des éditeurs, sans commande publique, se mettraient à produire, en centaines de milliers, des manuels scolaires déversés ensuite sur le marché et dont personne ne saurait préalablement rien ni sur la qualité de leurs contenus ni sur leur congruence avec les programmes scolaires. Laisser chaque chef d’établissement se « débrouiller » pour trouver les manuels qui lui conviendraient reviendrait à demander aux médecins, après auscultation des patients à les renvoyer sans ordonnance trouver par eux-mêmes des médicaments susceptibles de les guérir parce qu’il en existe de très nombreux dans de nombreuses pharmacies. Aux élèves donc la ressource qu’est le manuel scolaire officiel dûment évalué et rigoureusement sélectionné et aux enseignants la source de tous les savoirs que sont les bibliothèques pour enrichir les concepts, les notions et les domaines précis d’études par discipline et par classe conformément aux programmes en vigueur.
Manuel scolaire au Cameroun : un marché effectivement libéral
Il conviendrait de situer historiquement le débat sur la libéralisation du secteur de la production des manuels scolaires dont parle le Professeur A. Kom pour en avoir une appréhension pertinente. La situation actuelle est l’aboutissement d’un long processus dont un jalon essentiel fut posé à l’occasion de la tenue des Etats Généraux de l’Education de 1995. Cette instance recommanda au Gouvernement « d’encourager les nationaux à produire des manuels scolaires » et de « libéraliser le choix et l’utilisation des manuels scolaires ». Il s’en suivit, en avril 2000, la suppression du monopole accordé à certains entreprises d’édition et la libéralisation du marché du manuel scolaire. Le 4 janvier 2002, un arrêté du Premier Ministre consacra la nouvelle politique du manuel scolaire au Cameroun et vit l’entrée de nombreux opérateurs privés nationaux dans ce marché. Le bilan de cette nouvelle politique fait le 23 novembre 2017, à travers une circulaire du Premier Ministre, conclut à des dérives de toutes sortes que le mot « Mercantilisme » résume. C’est dans le prolongement de ce constat qu’un décret, signé le même jour, consacrait le retour à la politique du manuel scolaire unique par matière. Toutefois, il s’agit, non d’un retour à la situation monopolistique d’avant 2000 mais à l’encadrement régalien d’un secteur toujours libéral. C’est ce qui explique la position actuelle de choix des meilleurs éditeurs nationaux dans le marché du manuel scolaire.
Le Conseil National d’Agrément des Manuels Scolaires et des Matériels Didactiques
L’Etat ne se « mêle » donc pas du choix des manuels scolaires en créant « une vaste structure logée au Premier Ministère » appelée le Conseil National d’Agrément des Manuels Scolaires et des Matériels Didactiques (CNAMSMD). Cette instance n’est pas non plus une « invention » camerounaise comme le prétend Ambroise Kom ; des structures similaires exerçant les mêmes fonctions existent dans pratiquement tous les pays : Côte d’Ivoire, Sénégal, Guinée, Bénin, Burkina Faso… Le modèle tunisien qui fait autorité et des émules en matière de politique du manuel scolaire est adossé sur une structure semblable au CNAMSMD qui dispose de pouvoirs étendus et de moyens conséquents : le Centre National Pédagogique (CNP) est en effet, une entreprise publique à caractère industriel et commercial qui, non seulement conçoit mais aussi édite, produit et diffuse les manuels scolaires et les matériels didactiques à travers tout le pays. Grâce à ses propres infrastructures et équipements, le CNP entrepose dans un gigantesque magasin central à Tunis et dans des entrepôts secondaires dans les douze gouvernorats du pays, manuels scolaires et matériels didactiques qui sont directement mis à la disposition des libraires.
L’indispensable évaluation
Il est curieux que le Professeur Ambroise Kom envisage le processus d’évaluation et d’homologation comme une bride ou une entrave à la créativité des auteurs et des éditeurs de manuels scolaires. Même dans la fiction, domaine par excellence de la liberté créatrice, les auteurs sont encadrés par le processus de l’édition d’une part et, d’autre part, par le respect des canons esthétiques des genres littéraires. L’évaluation est donc un impératif, une jauge de performance, surtout en contexte de concurrence. Autant un bon élève ne redoute pas les examens autant un éditeur sérieux ne saurait redouter l’évaluation, entendue comme exercice d’appréciation critique. Les éditeurs pourraient, au pire, s’inquiéter de l’objectivité et de la transparence du processus d’évaluation de leurs productions. Dans le cas précis du CNAMSMD réorganisé par le décret du 23 novembre 2017, il opère avec des outils précis dont le premier est la critériologie signée du Premier Ministre et dont tous les éditeurs ont pleinement connaissance. Après chaque session d’évaluation, les éditeurs des manuels, recalés ou non, ont accès aux fiches d’évaluation et aux spécimens annotés de leurs ouvrages. Les manuels recalés leur sont retournés pour être remis sur le métier ; les manuels retenus sont eux aussi retournés à leurs éditeurs avec obligation qu’y soient intégrées toutes les corrections et les observations critiques pertinentes des évaluateurs ; s’en suit la délivrance d’un « Bon à tirer » préalable à l’impression. La rigueur de ce processus a entraîné, depuis 2017, une amélioration substantielle de la qualité des manuels produits par tous les éditeurs, les Camerounais surtout.
Le vaste chantier de l’industrie du livre
L’industrie du livre sur laquelle revient Ambroise Kom est un vaste chantier dont la pierre d’angle a été posée en décembre 2021 par la promulgation de la loi sur le livre par le Chef de l’Etat. On pourrait, de façon légitime, y fonder les espoirs d’une structuration méthodique et d’une régulation harmonieuse des nombreux métiers et activités du secteur. Un indicateur de la volonté de l’Etat de promouvoir une industrie nationale du livre viable est la correspondance N° B70/e-9/SG/PM du 29 décembre 2020 par laquelle le Secrétaire Général des Services du Premier Ministre demande aux ministres en charge de l’éducation, d’ordre du Chef du Gouvernement, de veiller scrupuleusement à concéder des parts substantielles du marché de l’impression des manuels scolaires à des imprimeurs locaux.
Pour ne pas conclure, si un arbre se reconnait à ses fruits, notre pays n’a à rougir ni de son système éducatif ni de sa politique du manuel scolaire ; on pourrait souhaiter que ces fruits fussent plus doux, mais on ne pourrait, sans jurer avec la réalité, leur dénier quelque saveur et leur succulence.