Porter la mention « enseignant » comme profession dans sa CNI, est un motif de se faire tuer
Par Ful Magnus
J’ai été recrutée comme enseignante en 1996 par l’Association des Parents d’Elèves et d’Enseignants (Apee). Quand j’ai commencé à enseigner, j’avais 20 ans. Mes élèves me donnaient du respect. Le temps est passé, le respect que les élèves avaient pour les enseignants a disparu. C’est idem pour les parents. Comme leurs enfants, ils ne nous respectent plus. Ayant passé deux ans en zone francophone, je peux dire que l’irrespect dans cette partie du Cameroun est pire qu’en zone anglophone. Mes élèves en zone francophone m’appelaient souvent par mon nom ; que ce soit dans l’enceinte de l’école ou lorsqu’on se croisait en ville.
Avec la crise dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, nous, enseignants sommes confrontés à de nombreux défis. C’est l’enfer sur terre. Nous nous méfions de tout le monde. La confiance a disparu. La psychose s’est installée. Les élèves, étudiants qui sont restés malgré la guerre ont changé de mentalité. Ils sont devenus plus rebelles. Et ils expriment cela avec leurs enseignants. Nous ne participons plus aux rassemblements publics. Certains de nos collègues enseignants ont été abattus à plusieurs reprises ici. Cacher notre identité reste le meilleur moyen de survivre. Nous avons changé nos cartes nationales d’identité pour répondre, aux desideratas de nos frères qui sont contre nous. Personne ne souhaite voir une carte d’identité portant la mention « enseignant » comme une profession, c’est un motif de se faire tuer.
Certains d’entre nous qui n’avaient jamais loué de maison avant la guerre ont laissé leurs maisons aux souris. Ils sont désormais des locataires. Le pire, c’est que, même les enseignants qui décident de rester sur le terrain, comme M. Fonjang et M. Ndim, finissent quand même par perdre la vie. Certains enseignants de l’arrondissement de Fundong, par exemple, sont obligés de déménager et enseigner dans l’école du centre-ville. La question que je me pose est : que deviennent nos enfants dans les zones rouges ? Si je suis le gouvernement, j’écouterai les habitants de ces zones turbulentes pour connaître leur opinion et j’organiserai un dialogue sincère avant la reprise complète des écoles dans une région qui a établi les meilleurs standards au fil du temps en matière d’éducation.