Dans un article, le Pr Jacques Fame Ndongo donne des pistes de solutions.
Par Nadine Ndjomo
C’est un sujet sensible. Parler des maux dont souffre l’Enseignement supérieur au Cameroun revient à essayer de guérir d’un cancer, qu’on dit incurable. Mais la nécessité est là, tant le mal est profond et donc inquiétant. Car, dans la quasi-totalité des universités d’Etat du Cameroun, certains maux sont les mêmes. Et parmi eux, on peut citer l’introduction du système (LMD) dans le système éducation, qui semble ne pas s’accommoder au contexte Camerounais. Et comme le reconnait le Pr Jacques Fame Ndongo, ministre camerounais de l’Enseignement supérieur, dans l’article « Quel enseignement supérieur et quelle recherche, en Afrique, à l’Horizon 2015 ? » paru dans géostratégiques N°25 10/09, « Geopolitiques des Afriques subsahariennes » : « la réforme LMD dans les pays africains devrait contribuer à la promotion de la comparabilité des systèmes francophones, anglophones, lusophones, hispanophones, arabophones afin d’aboutir à un plus petit dénominateur commun qui sous-tendra tous les systèmes d’enseignement supérieur et de recherche (comparabilité, flexibilité, mobilité, qualité, capitalisation et transpérabilité des crédits à travers un espace sous-régional, régional voire mondial et l’individualisation du parcours de l’étudiant). »
Dans les universités de Maroua et Ngaoundéré, « particulières » de part leur situation géographique, certains maux sont les mêmes ; mais d’autres pas. A l’université de Maroua par exemple, il y a un manque criard d’infrastructures. «Aucune faculté encore moins, une grande école, n’a de locaux propres. Seuls les étudiants de l’école normale, suivent les cours dans leurs locaux. Et ce manque d’infrastructures a une conséquence sur la programmation des enseignements. Il y a toujours des conciliations à faire. Il faut être patient. Mais parfois c’est difficile », susurre un enseignant de l’université de Maroua.
Ipes
En sus du manque d’infrastructures, il y a aussi la question de la professionnalisation des enseignements. Ne pouvant totalement satisfaire à la demande du nombre sans cesse croissant des élèves ayant achevé leurs humanités, résorber le problème de la professionalisation, et diminuer un peu le chômage, les instituts professionnels de l’enseignement supérieur (Ipes) sont nés. Ils ont certes résolu certains problèmes ; mais en ont créé d’autres. Parmi lesquels la régression de la qualité de l’enseignement, ce qui débouche à la fabrication des amateurs et « des petits montres » dans les instituts de l’enseignement supérieur. « Avec les Ipes, le nombre d’étudiants a diminué dans les amphis. Ils ont permis aux bacheliers, une fois sortis du lycée de pouvoir suivre une formation professionnelle, qui puissent les préparer au marché de l’emploi. Et le fait qu’ils ont diversifié les offres de formation, est aussi à saluer», reconnait un enseignant d’informatique.
Toutefois, pense-t-il : « les Ipes sont en grande partie responsables de la régression de la qualité des enseignements au niveau du supérieur au Cameroun. Très peu de promoteurs d’Ipes respectent les conditions de création et d’ouverture qui sont régies par le décret N°2001/832/PM du 19 septembre 2001 fixant les règles communes applicables aux institutions privées d’enseignement supérieur. Conditions, qui sont pourtant simples. Mais certains promoteurs dont je vais taire les noms, font le choix de ne pas respecter ses conditions. Et quand bien même ils essayent de le faire, ils le font partiellement, avec toute la désinvolture possible, doublé de la filouterie. Ces derniers mettent le lucre au premier rang, au détriment de la qualité de la formation. Or, c’est elle qui doit primer. »
Mais pour le Dr Shehou, enseignant d’histoire à l’université de Maroua, le tort ne revient pas exclusivement aux Ipes. « Car la plupart des enseignants qui dispensent les cours dans ces Ipes, sont des enseignants d’universités. Ces derniers font des vacations dans ces Ipes. Et nous savons que les enseignants d’universités sont bien formés », explique-t-il avant de signaler le fait que le problème est ailleurs. « Si les enseignants étaient bien rétribués dans les Ipes, je crois que la qualité de l’enseignement serait à la hauteur de leur engagement, de leur motivation. Revoir le salaire des enseignants dans les Ipes, est une partie de la solution », pense le Dr Shehou. Et en plus, les promoteurs devraient mettre un accent sur la qualité des enseignés. « Certains arrivent dans les Ipes avec un niveau très bas. Or, dans les universités, il faut avoir un certains niveau. Et les enseignants ne peuvent rien faire à ce niveau. Ils font ce qu’ils peuvent », explique-t-il. A date, on dénombre plus de 200 Ipes au Cameroun.
Pour ce qui est du corps enseignant, une nette amélioration a été faite par l’Etat. 213 nouveaux enseignants ont été recrutés. « L’université de Ngaoundéré est repartie dans 3 régions. Les campus de Ngaoundéré et de Meiganga dans l’Adamaoua, celui de Garoua dans le Nord et l’école normale supérieure de Bertoua dans la région de l’Est. Cette année, nous attendons plus de 30.000 étudiants », projetait le Pr Uphié Chindje, recteur de l’université de Ngaoundéré, à quelques jours de la rentrée académique 2020-2021. « Le problème à l’université de Ngaoundéré, ce sont les enseignements. Ils sont peu, qui dispensent bien les cours. Il y a le favoritisme et l’octroi des notes de manière curieuse. Cela nous fruste », se plaignent des étudiants. 12 ans après la création de l’université de Maroua, sept établissements dont la faculté des arts, lettres et sciences humaines, la faculté des sciences, la faculté des sciences économiques et de gestion, la faculté des sciences juridiques et politiques, la faculté des mines et des industries pétrolières, l’école nationale supérieure polytechnique ont été créés. Et actuellement, on dénombre près 35.000 étudiants à l’université de Maroua.
Savoir-faire
Pour résoudre certains des maux dont souffrent les universités camerounaises, « l’enseignement supérieur et la recherche induisent le renouvellement des connaissances (y compris donc dans l’enseignement primaire qui a besoin de savoirs nouveaux et de méthodes pédagogiques innovantes), mais encore ils se situent à l’alpha des changements sociaux historiques voire coperniciens (il n’est que de citer la liste des inventions qui ont permis à l’Humanité d’évoluer harmonieusement dans tous les domaines). De toute évidence, loin d’être antagonistes, ou, à tout le moins, divergents, l’éducation de base, l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur ne peuvent que s’inscrire dans la complémentarité et l’osmose, car ils participent d’une même chaîne qui part de l’école maternelle à l’Université, en passant par les lycées et collèges, la finalité étant de former des « têtes bien faites » (Montaigne) qui soient à même de contribuer à l’essor des Nations », propose le Minsupdans la revue citée supra.
De plus, L’université et les centres de recherche étant, par essence, modernes. S’ils deviennent archaïques ou passéistes, ils ne remplissent plus leurs missions ontologiques. Aujourd’hui, la modernité se mesure à l’aune de la mise en œuvre des technologies de l’information et de la communication qui doivent innerver toute la vie des temples du savoir, de la production des connaissances et des compétences au renouvellement de celles-ci (recherche) en passant par leur diffusion (techniques et modalités de transmission des savoirs et savoir-faire). La modernité dans les universités reste donc incontournable. Tout comme une régression de la massification aveugle de la délivrance des diplômes, qui correspond à une infantilisation des étudiants, à un paternalisme de mauvais aloi et à une démagogie à la fois éhontée, désuète et périlleuse. Sans omettre la qualité des enseignements.
La qualité qui suppose d’après le Pr Jacques Fame Ndongo, « des enseignants bien formés, dévoués et en nombre suffisant (normes de l’Unesco : 1 enseignant pour 30 étudiants), des laboratoires équipés et modernes ; des personnels d’appui compétents ; un système d’information (données statistiques et informatiques) performants ; des infrastructures adéquates quantitativement et qualitativement, des curricula de formation pertinents (enracinés dans l’Africanité et ouverts au monde), une stratégie éducative bien pensée : ne former ni des déracinés et des acculturés ni des cadres myopes et nombrilistes ou des thuriféraires ; un système d’évaluation performant (qui évite le pantagruélisme éculé que récusait Rabelais et le psittacisme stérile), une gouvernance sociale efficiente au sein de l’Université (franchises universitaires, statut de l’étudiant spécifiant les droits et obligations de celui-ci, aires de jeu, structures sanitaires adéquates, encadrement psycho-social dans des centres médico-sociaux appropriés etc.) » Le Cameroun compte huit universités d’Etat dont, Douala, Bamenda, Buéa , Dschang, Yaoundé I, Yaoundé II, Ngaoundéré, Maroua.