
sociologue et enseignant d’université.
Interview réalisée par Bertrand Ayissi
Qu’est-ce qui explique, selon vous, le regain d’intérêt qu’a le peuple camerounais sur la gestion de la chose publique et autres actualités politiques, sportives, économiques, sociales, etc., ces dernières années ?
Le Cameroun a accédé à sa souveraineté internationale en 1960, sous le prisme du multipartisme. Ahmadou Ahidjo alors Président de la République a fermé cette parenthèse politique au motif qu’il constituait un handicap pour la construction nationale et le développement socioéconomique. Sous l’action des dynamiques internes et externes, le multipartisme fut restauré en décembre 1990 et s’est accompagné de l’éclosion de la parole et de la pensée des Camerounais. Ceci étant, ces derniers sont passés plus ou moins de la culture paroissiale, de sujétion à la culture de participation. Il va de soi que nos compatriotes accordent de plus en plus un intérêt à la chose publique.
L’un des moyens d’expression, pour ne pas dire le plus usité et efficace aujourd’hui, c’est les réseaux sociaux. Alors, peut-on corroborer la thèse de Umberto Éco selon laquelle les réseaux sociaux ont donné la possibilité à une « légion d’imbéciles » de s’exprimer au Cameroun, ou alors ces réseaux sociaux sont un moyen de pression efficient du bas peuple face aux gouvernants ?
Ce que vous appelez réseaux sociaux (Internet, Whatsapp, Twitter, Google…) constituent ce que nous appelons Moyens de Communication Électronique (MEC) qui participent à la libération de la parole, des idées, de l’information et réduisent le monde à ce que Pc Liban a appelé le village planétaire. Dans ce village, on ne saurait avoir affaire uniquement à une légion d’imbéciles ainsi que le pense Umberto. Il y en a sûrement aussi qui sont intelligents qui sont certes accompagnés des imbéciles dans la diffusion de la parole. Tout ne saurait donc être du non-sens sur l’espace public, source de sécrétion d’une opinion publique qui, de plus en plus, oriente les décisions politiques des gouvernants. L’actualité ambiante au Cameroun constitue une preuve dont la lecture au premier degré n’est pas forcément une source de vérité.
Qu’est-ce qui peut expliquer la généralisation du crime, des dépravations diverses et autres fléaux sociaux au Cameroun ?
La notion du crime prête à confusion. Juridiquement, le crime ne renvoie pas forcément à l’assassinat. Au sens sociologique, je pense que vous faites allusion aux déviances qui ne constituent pas une spécificité camerounaise. Elles sont inhérentes à la nature humaine. Toute sa récurrence est dangereuse pour la cohésion sociale parce qu’elle peut conduire à l’éclatement de la société. La généralisation de ces déviances sociales résulte de l’anesthésie des institutions sociales classiques que sont la famille, l’école, les systèmes de croyance qui sont supplantés par d’autres institutions auprès desquelles les individus se ressourcent.
Avec les détournements massifs de deniers publics, peut-on déduire qu’il y a comme une opposition entre bourgeois minoritaires et prolétaires majoritaires au Cameroun ?
À l’effet de se faire comprendre, faisons allusion à l’opposition entre trois catégories sociales au Cameroun : ceĺles des riches des moyens et des pauvres. Il va de soi que ces différentes catégories sociales soient traversées par des antagonismes et des contradictions. Ces antagonismes et contradictions sont de plus en plus visibles et peuvent entamer la cohésion sociale. On peut d’ailleurs lier ce phénomène a l’émergence des déviances auxquelles vous faites allusion pour la simple raison qu’elles instaurent l’injustice sociale dans tous ces sens.
Quel rôle peut jouer la jeunesse dans un contexte social désintégré par de nombreux vices et quel modèle de réussite sociale peut-on lui proposer ?
La jeunesse constitue une catégorie particulière dans toutes les sociétés humaines. Elle incarne des capacités que les hommes âgés n’ont plus. A ce titre, un État comme le nôtre doit accorder une attention particulière à cette catégorie sociale. Malheureusement, le système sociopolitique actuel n’assure pas une orientation optimale à même d’en faire une force sociale et politique. Elle doit, à ce titre, prendre son destin en main. Mais cela nécessite un accompagnement par des leaders qui doivent se démarquer par un engagement réel.