Des millions d’enfants ouest-africains n’auront jamais connu l’école. Et pour ceux qui y ont accès, la question de la réalité des apprentissages se pose avec acuité. Pour Gilles Yabi, du think tank Wathi, il est temps de repenser les systèmes éducatifs en profondeur.
Par Gilles Olakounlé Yabi
Dans le centre-ville de Gaborone (Botswana), un bâtiment moderne se distingue nettement. Ce n’est pas le siège de la Banque centrale ni le ministère de l’Économie, mais celui de l’Éducation. À quelques dizaines de mètres de là, une villa blanche, coquette mais banale : la présidence de la République. Qu’on est loin de nombre de pays d’Afrique de l’Ouest où les immeubles désuets qui abritent les ministères de l’Éducation contrastent avec le clinquant des palais présidentiels, voire des résidences privées des membres du gouvernement et des hauts fonctionnaires !
Le Botswana est toujours dans le groupe de tête des pays africains classés selon la bonne gouvernance et le développement humain. Et ce, malgré le choc qu’a été l’épidémie de sida. Les Botswanais expliquent que leur succès réside dans la priorité donnée, depuis l’indépendance, à l’éducation, à la santé et, bien sûr, à la gestion vertueuse de la manne des diamants.
Il ne s’agit pas seulement de se doter de locaux modernes, mais de faire de l’éducation la priorité absolue. On n’en est pas vraiment là en Afrique de l’Ouest ni dans une grande partie de l’Afrique centrale, où les richesses minières et pétrolières ont servi à l’accumulation démesurée de fortunes personnelles, à des investissements de prestige improductifs et à la recherche effrénée de rentes. Aux antipodes de l’incitation à l’effort, à la quête de savoir et de savoir-faire.
Un faible taux de scolarisation
Malgré des progrès considérables, des millions d’enfants ouest-africains n’auront jamais connu l’école. Au Burkina Faso et au Niger, moins de deux enfants sur cinq vont à l’école primaire. Les taux de scolarisation dans le secondaire sont assez bas partout : 42 % au Bénin, 39 % en Côte d’Ivoire, 56 % au Ghana, 30 % au Mali, 20 % au Niger…
Se pose avec gravité la question de la réalité des apprentissages. Au Niger, moins de 10 % des élèves ont acquis des compétences suffisantes en lecture en fin de cycle primaire. Au Bénin, au Burkina Faso et au Sénégal, entre 51,7 % et 61,1 % des élèves ont un niveau suffisant pour poursuivre une scolarité de qualité.
Il faut repenser les systèmes éducatifs pour les adapter aux réalités économiques, sociales et culturelles des pays de la région et aux types de sociétés que l’on souhaite construire. Il faudrait créer, dans chaque pays, une Autorité supérieure de l’éducation chargée d’en définir les grandes orientations, d’assurer la cohérence des choix, de proposer des réformes et d’animer des débats publics sur l’état du système éducatif.
Revaloriser le statut des enseignants
Le laboratoire d’idées Wathi recommande de faire de la formation des enseignants, de leur accompagnement et de leur supervision une priorité. Revalorisons leur statut, avec un plan de carrière prévoyant une rémunération décente, une évolution des salaires et des primes qui ne soient pas seulement déterminées par le niveau d’ancienneté, mais aussi par des évaluations régulières par leurs élèves. Mettons en œuvre une révision profonde des curriculums en focalisant les dix premières années d’école sur les apprentissages qui correspondent aux exigences les plus fondamentales de l’intégration des enfants dans leur environnement économique, social et culturel, notamment la lecture et l’écriture, dans les langues locales comme dans la langue officielle.
Il faut aussi redonner toute leur place à l’éducation civique et morale, à la découverte du patrimoine culturel africain, à la familiarisation avec l’agriculture et l’élevage, au service communautaire, à la valorisation du travail manuel, à l’éducation financière. Pour tout cela, il faut recourir à des méthodes pédagogiques attractives, telles que les technologies de l’information et de la communication, le théâtre, l’initiation aux débats et à la réflexion critique.
Il s’agit d’un défi extraordinaire, compte tenu de la forte croissance démographique et des ressources limitées. Mais il est vital d’envisager avec pragmatisme toutes les options possibles pour pouvoir proposer aux enfants une éducation publique de qualité.