Aveugle depuis plus de 40 ans, il a pu co-fonder un club qui a donné naissance à des écoles au Cameroun.
Par N.N
Au siège du Club des jeunes aveugles réhabilités du Cameroun (Cjarc), au quartier Ekoumdoum à Yaoundé, en cette fin de matinée du 7 août, l’ambiance est à l’adoration. Il flotte dans l’air des notes de guitares, qui flirtent et s’entremêlent entre celles du piano. Des sopranos, des ténors et quelques barytons habillent l’ensemble. Le résultat est coloré fait dodeliner de la tête et dessiner quelques sourires en coin. Et près de la salle d’où sort cette belle mélodie, se trouve un bâtiment majestueusement bâti. Et soudain, la porte centrale s’ouvre. Un homme, se dévoile dans son ensemble Afritude : c’est Coco Bertin Mowa Wandjié.
Tout sourire, c’est avec entrain qu’il nous invite dans son bureau. Il est bondé de trophées, de récompenses, sur des meubles. Rigoureusement rangés. Sur la table, tout est impeccable. La radio qui distille « Sara » d’Anne Marthe Nzié, teinte l’atmosphère. Elle est joyeuse. Tout comme l’hôte du jour. Et il y a de quoi. Il y a quelques jours, le 4 août dernier précisément, Martin Luther Amahata Adibita, son ami de toujours et lui, célébraient le 33ème anniversaire du Cjarc. C’est ensemble qu’ils ont crééé ce club. Et il devait le fêter, plus de 30 ans plus tard. Ils l’ont donc fait. « Tout s’est bien passé. Il y avait du monde», se réjouit Coco Bertin, l’un des co-fondateurs de ce club, qui a donné naissance à une école maternelle, une école primaire, à une Enieg bilingue.
Il faut dire qu’au départ de cette aventure, les deux amis ne voyaient pas ce projet aussi grand. Revenus du Rehabilitation institute for the blind de Buéa, où ils se sont rencontrés et se sont liés d’amitié, entre 1984 et 1986, les deux amis se mettent à tisser des chaises en rotin. Les deux premières, seront achetées par la mère de Coco Bertin, « pour les encourager ». Par la suite, certains membres de la famille suivent le pas. Après quelques mois, le tandem trouvent un espace sur la véranda de la délégation régionale des affaires sociales du Centre à Yaoundé et en font leur bureau. Dès le matin à l’arrivée, ils installent leur matériel et le soir, le rangent dans les bureaux. Ainsi de suite. Chemin faisant, l’idée d’une association nait. L’objectif est d’agrandir leur affaire, intégrer le maximum d’aveugles possible, vivant à Yaoundé. Mais un ami les aide à voir plus grand et à créer un club au lieu d’une association, dont la particularité est de couvrir tout le Cameroun. Ils adhèrent.
Le Cjarc commence à prendre forme. Nous sommes en 1988. Coco Bertin s’envole pour la France où il revient avec 26 millions FCfa. Ces fonds lui permettent d’acheter le lopin de terre sur lequel est construit le siège et de recruter quelques personnels. Cahin-caha, des donateurs affluent pour donner forme à ce lieu, désormais incontournable pour les aveugles du Cameroun. Les travaux de construction du bâtiment commencent en 2001 et s’achève en 2003. Et le 30 décembre 2003, le siège est inauguré par Chantal Biya, l’épouse du président de la République du Cameroun, qui a bien failli ne pas être présente, à cause des subterfuges de certains responsables du ministère des Affaires sociales. « Le dossier qu’il avait déposé au ministère des Affaires sociales a disparu. J’ai du le refaire cinq fois. C’est au sixième dépôt que le ministre de l’époque a reçu personnellement le dossier et l’a remis à la première dame, qui a accepté venir inaugurer, équiper entièrement. De l’ameublement, à l’électroménager, en passant par le matériel didactique. Elle a tout fait. Nous ne cessons de la remercier», se souvient Coco Bertin.
33 ans plus tard, le Cjarc a changé. Tout comme son fondateur, dont le profil force le respect et l’admiration. Né le 6 octobre 1966, ce fils de l’Ouest Cameroun a perdu la vue à l’âge de 16 ans. Après plusieurs formations entre le Cameroun et la France, ses nombreux combats pour l’inclusion des aveugles au Cameroun, l’écriture d’un roman « à la poursuite d’un rêve », de nombreux prix engrangés, il repart à l’école et obtient son brevet d’études du premier cycle (Bepc) en 2015, il a 49 ans. Au lycée de Mballa II à Yaoundé, où il compose, il est discret. Le madison international institute and business school (Miibs) l’accueille pour son baccalauréat et sa licence en économie, option management des projets. Depuis le début de cette année il fait un master en management des projets, toujours au Miibs.
Aujourd’hui, la détermination et le courage dont il a fait montre, lui permettent de compter parmi les enseignants de l’école normale supérieure de Bertoua, qui est sous-telle de l’université de Ngaoundéré, d’assurer des enseignements à l’Enieg bilingue Louis braille, de faire le tour du monde, de s’asseoir près des « grands » aux Nations unies. Père de cinq enfants, il sait compter sur son épouse de et sa mère, qui vit toujours au quartier Carrière à Yaoundé, où le destin a décidé de changer sa vie. C’était un jeudi, il y a plus de 40 ans. Un jour inoubliable certes mais, désormais relégué aux calandes grecques.