C’est l’un des fruits de la coopération sino-camerounaise.
Par Nadine Ndjomo
Fayçal, la quarantaine aujourd’hui, se souvient encore du jour où il a annoncé à ses parents qu’il va apprendre le chinois à l’école normale de Maroua. « Ils se sont mis dans tous leurs états. Ma mère m’a boudé pendant plus d’un an. Mon père, plus compréhensif, quand je lui ai donné mes raisons, m’a accompagné. Et c’est quand je suis parti en Chine, que ma mère a compris mon choix. Et aujourd’hui, elle a compris », raconte-t-il. Ancien étudiant de l’école normale de Maroua, aujourd’hui, il regarde sourire aux lèvres, l’émulation que suscite l’apprentissage de la langue chinoise au Cameroun d’aujourd’hui : « il y a 10 ans, ce n’était pas le cas. Les gens rechignaient à apprendre le chinois. On nous taxait de fous, nous qui, à l’époque, avions choisi cette langue. Je suis heureux de constater qu’aujourd’hui, il y a eu changement de mentalité », se réjouit-il.
Ce changement mentalité s’est traduit au fil des ans avec l’introduction dans le système éducatif camerounais, notamment au niveau des enseignements secondaires, de la langue chinoise. Et c’est donc depuis 2009 que les élèves se nourrissent de la culture chinoise. Ce qui apparemment ne semble pas émouvoir les parents. Au contraire. « Le fait que mes enfants ont suivi des cours de chinois ne me dérange pas. C’est moi qui les ai orientés. Le mandarin, c’est la langue. C’est la langue de demain. Toute personne qui aspire à une carrière à l’international doit maitriser trois langues. La première, c’est l’anglais. C’est la langue la plus parlée dans le monde. La deuxième langue, c’est l’arabe, qui est aussi indispensable, surtout pour les hommes qui souhaitent faire des affaires dans les pays à forte connotation musulmane. Parler arabe, est un plus. Et enfin, il y a le mandarin. Aujourd’hui, quoiqu’on dise, la Chine est la plus grande puissance du monde. Sur le plan économique, elle a détrôné les Etats-Unis. Du coup, après avoir fait des allers et retours entre la Chine et le Cameroun, après avoir fait plusieurs pays, j’ai vécu dans certains, et il était logique pour moi, d’orienter mes enfants sur la voie du futur. Et je ne le regrette pas », motive Mohamed, parent et homme d’affaires.
Pour lui, le fait que l’Etat camerounais a décidé d’introduire le mandarin dans son système éducatif est un boulevard qu’il a offert aux parents visionnaires et surtout aux élèves, étudiants, ambitieux. Les opportunités à apprendre le chinois sont innombrables. Ayant senti le bon filon, ils sont de milliers de Camerounais à se ruer vers les centres d’apprentissage du mandarin, à l’effet d’apprendre les bases de cette langue. Et parmi ces centres, il y a une, qui est une référence : il s’agit de l’université de Maroua. La première cuvée y a été formée de 2009 en 2011. Et les pionniers de cette formation s’en souviennent, heureux, de ces années folles et curieuses, qui les a conduits sur le site de l’Institut des relations internationales du Cameroun (Iric), pour suivre les cours. « Nous étions étudiants à l’Ecole normale de Maroua, mais nous suivions les cours à l’Iric. Cela se faisait dans un balbutiement, qui nous amusait et nous énervait, en même temps. Les enseignants venaient de Chine. Les manuels scolaires que nous utilisions, venaient de la Chine. Nous apprenions la culture chinoise. Tout venait de l’empire du milieu. Il est arrivé des fois que les enseignants ne viennent pas. C’était difficile. Mais nous avons tenu. C’était une expérience particulière et très enrichissante. C’est ce que nous retenons de ces années-là », raconte l’un des étudiants de la première promotion.
Lom Pangar
De 15 étudiants en 2009, ce chiffre a doublé à la deuxième promotion. Ainsi de suite. Conséquence, aujourd’hui, hormis l’école normale de Maroua, où on enseigne encore le mandarin, une faculté à l’université de Maroua. Dans les locaux de Conficus de Maroua, « les cours ne sont pas ouverts pour tout le monde. Seuls les internes y ont accès. Aujourd’hui, on dénombre 240 étudiants à Confucius de Maroua. Au niveau un, il y a 70 étudiants, au niveau 2, ils sont 90 et au niveau 3, ils sont 80 », apprend-on. Et à côté, il y a des centres de formations privés, à Yaoundé et à Douala. Certains cours, se font également en ligne. Au niveau des enseignements secondaires, sur les 1159 lycées que compte le Cameroun, on enseigne le chinois dans 134 lycées. Et quant aux collèges, sur les 1301 collèges qu’il y a au Cameroun, seuls 21 ont déjà intégré le mandarin dans leurs enseignements. D’après le ministère des Enseignements secondaires, actuellement 15.123 élèves apprennent le chinois au Cameroun. Et ils sont suivis par 37 professeurs de lycée d’enseignement secondaire général (Pleg) et 203 professeurs de collège d’enseignement général. Dans les régions septentrionales, ils sont 3248 élèves à apprendre le mandarin, soit 521 dans trois établissements dans la région de l’Adamaoua, 1059 dans la région du Nord, pour 21 établissements et 1668 dans la région de l’Extrême-Nord, dans 23 établissements.
Bien qu’encouragée, l’introduction de la langue chinoise dans le système éducatif camerounais n’a pas que des avantages. « C’est vrai que la maitrise de la langue chinoise ouvre de nombreuses portes d’emplois, mais, elle a également avec des inconvénients. Avec cette langue, nous promouvons la langue chinoise, nous vivons la culture chinoise. Est-il possible qu’on apprenne le fulfulde, l’Eton, le Bafia, le Dschang, le Banen, le Gbaya, dans les universités ou les lycées de Pékin ? C’est impossible. Mais nous, avons accepté cela, sans dire mot. De plus, la plupart des étudiants qui suit cette formation, une fois qu’ils ont fini, s’ils sortent de l’école normale, ils ne restent pas dans l’enseignement. Ils demandent des bourses pour la Chine et quand ils s’en vont, ce n’est pas pour revenir. Et ceux qui restent, se retrouvent dans les sociétés chinoises à faire la traduction. Le cas de Lom Pangar en est une illustration. On a retrouvé de nombreux enseignants déserteurs, au barrage, qui jouaient les traducteurs. Ils ont été rappelés à l’ordre, mais rien n’a changé », analyse un cadre au ministère des Enseignements secondaires. De plus, il y a l’acculturation qui tisse sa toile et avance à pas de géant, reléguant nos cultures au dernier banc. Quid des langues maternelles camerounaises, pour lesquelles, on n’accorde pas toujours le même intérêt ? Certes enseignées, mais peu promues. Dans la coopération Chinafrique, on n’y a peut-être pas pensée. Mais chacun à son intérêt…